La
maternelle procède du changement d’état, voire d’un véritable
chambardement ! Et ce, tout d’abord, parce que, la plupart du temps, les
parents à la veille de la rentrée sont eux-mêmes « chamboulés »,
ensuite en raison d’une évolution que leur chérubin ressent comme une
obligation à tenirs...
Bien
que l’enfant ait fréquenté souvent la crèche auparavant, ce passage le renvoie
inconsciemment à ce que la psychanalyse nomme angoisse de dissociation ;
effectivement, l’inconscient, gardant des traces mnésiques, n’a pas oublié
l’extrême difficulté à venir au monde : d’un état de contenant-contenu,
bénéficiant à la fois d’une grande protection psychophysiologique ou pare-excitation, et, par ailleurs, d’une impression fantasmatique de
toute-puissance durant la période intra-utérine, il a fallu quitter brutalement
ce paradis aquatique pour affronter, entre autres, bruits, odeurs, variations
de température… et, ça, ça ne s’oublie pas ! Tout changement contient donc
son lot de résistances…
Sécuriser l'enfant
A
trois ans, l’enfant, pour ne pas se sentir exclu, abandonné, fonde encore le besoin
d’un lien personnalisé à une grande personne ; à la maternelle,
il rencontre la difficulté non seulement de s’insérer dans un groupe soumis à
des règles mais aussi celle d’apprendre à s’individuer. S’il traverse
l’obstacle, l’enfant va trouver sa place au sein d’une mini-société, place qui
sera déterminante pour son avenir.
Outre
les problématiques liées à l’espace, se surajoute le temps, dimension tout
aussi limitative et douloureuse à cet âge. Pour apprendre à repérer sa place,
l’enfant possède des supports mis à sa disposition, supports qu’il identifie et
qui l’identifient : pour exemple, des gommettes, ou déjà des étiquettes
lui précisant et lui rappelant où il doit accrocher son manteau sans investir
pour autant le territoire de l’autre ; et si, malencontreusement, l’acte
manqué se produit, le petit voisin saura remettre justement les choses à leur
place ! Pour le temps, c’est une autre histoire : ne pas bouger quand
on veut renvoie l’inconscient à une espèce d’immobilisme qui peut déclencher
une angoisse de mort…Temporaliser ce lieu commun peut devenir, au fil du rythme
de la journée scolaire, une véritable punition… Et cependant, il est question
de pédagogie…
Ainsi,
la maternelle n’oublie pas qu’elle doit sécuriser l’enfant qui déjà se
socialise pour mieux s’humaniser. Très vite, il va acquérir des repères, aidé
par des activités qui lui sont certes plus imposées que proposées : il y a
les tables pour écouter les histoires, les tables où il est possible de sortir
les peintures ou étaler la pâte à modeler ; d’activités, en activités,
l’inconscient acquiert et renforce ses limites.
Mais
alors le plaisir serait-il inexistant de cette école un peu particulière que
l’on avait décrite au futur écolier comme l’endroit idéal où « tu auras
plein de copains », où « tu pourras jouer »… ? En fait, le
plaisir est omniprésent mais, il est vrai, différent du plaisir possible à la
maison. A l’école, la notion de découverte reste primordiale ; quant aux
jeux, impossible de ne pas respecter la règle, alors qu’à la maison parfois on
triche un peu ! Par ailleurs, maman ou papa pourront accepter
l’interruption prématurée d’une activité ; à l’école, on va jusqu’au bout,
autant dire jusqu’à la fin… Et que ce mot fait mal à l’inconscient car, encore
une fois, chargé de sens il est… Quant aux jouets s’ils traînent, parfois
dangereusement, sur le parquet du salon, bien que maman ait dit maintes fois de
les ranger, à l’école la dame de service se révèle beaucoup plus
sévère…
La
liste des commandements est longue et lourde et il faut ne pas omettre une
autre grande difficulté : le ne pas parler. Heureusement,
même s’il n’existe pas à ce stade des programmes très précis, l’enfant pourra
tout de même s’exprimer en complétant un début d’histoire, en chantant et,
malgré tout, en répondant aux questions induites par la maîtresse. Car cet
apprentissage, aussi dur soit-il, se situe dans de futures perspectives
pédagogiques incontournables comme lire, écrire, compter. Mais
il y a plus difficile encore : quitter la main de maman ou de papa pour
plusieurs heures, ce qui signifie essentiellement la perte d’une protection…
Une passerelle nécessaire
Il
est évident que l’enseignante représente une transition rassurante, d’autant
que c’est elle qui accueille personnellement l’enfant le matin afin qu’il n’y
ait pas de véritable rupture du lien. Pour faciliter cette passerelle, l’élève
a le droit d’emmener un petit jouet avec lui, objet transitionnel qui donnera la certitude que maman ou papa reviendra chercher l’écolier le
moment venu. En attendant ces retrouvailles, il va s’avérer nécessaire de tout
partager avec les autres, et même ceux que l’on n’aime pas ! Ainsi, la
récréation peut-elle devenir un véritable cauchemar pour un petit de la
maternelle car cet espace contient aussi les grands, les
turbulents, les moqueurs, les graines de rapteurs qui peuvent piquer le goûter
tendrement préparé par maman ; très vite, la cour de récréation peut être
un lieu hostile ; les plus adaptables vont se protéger rapidement en
s’organisant, c’est-à-dire en s’appropriant un endroit, comme le bac à sable,
afin de rallier à leur cause d’autres éléments qui, massivement, constituent une
véritable petite armée contre les ennemis potentiels… Et, très vite,
l’imaginaire prendra le dessus, la cour évoluant, de fait, vers le plus
fascinant monde de re-création…
Cependant,
deux autres difficultés restent omniprésentes les jours d’école : la
cantine et la sieste. Après l’assistante maternelle à laquelle il a fallu
s’habituer, les cantinières veillent sur un lieu nouveau dans
lequel il va falloir se faire une place encore plus intime car, partager un
repas, c’est s’exposer encore davantage au regard de tous les autres. Outre le
bruit déjà fatigant, les plus malins vont faire la loi : ça peut dealer allègrement mais, dans le registre échange frites contre yaourt à la
fraise, il peut exister de véritables chefs de bande qui persécutent
systématiquement l’assiette d’un gentil petit bonhomme ! L’heure du repas
mobilise donc beaucoup d’énergie car l’inconscient de l’écolier reste en
mécanisme de défense ; c’est pourquoi le moment de la sieste peut
apparaître salvateur… quoi qu’il s’agisse là plus de besoin que de
plaisir ; d’ailleurs, un enfant anxieux aura du mal à trouver le sommeil,
même s’il est dans son lit et même s’il a eu le droit de prendre
sa peluche préférée… Mais, heureusement, dans le calme, il peut se mettre à rêvasser
à l’heure de la sortie ! Seulement, dès que l’heure des parents arrive,
l’abandonnisme de se réveiller à nouveau : « et si maman m’avait
oublié(e) ? »… Grâce à Françoise Dolto surtout, les parents ont
compris depuis longtemps déjà combien il est important de rassurer l’enfant le
matin, simplement, avec des mots vrais, afin qu’il n’utilise pas mal son
énergie tout au long de la journée et qu’il ne garde pas au fond de lui une
angoisse incontrôlable. Ainsi est-il recommandé de toujours préciser à l’enfant
que si un des deux parents est retenu à l’heure de la sortie, mamie, tatie ou
la voisine sera là, de toute façon ; cette possibilité de remplacement
suffit à libérer l’inconscient.
Devenir
écolier, c’est donc bien un parcours du combattant ; ça s’apprend certes
en jouant mais, encore une fois, tout jeu comporte ses règles et cela beaucoup
de parents l’oublient. Mettre un enfant à la maternelle reste encore trop
banalisé par le couple, ce que signalent souvent les enseignants. La maternelle
n’est pas là pour déculpabiliser la mère et le père ou, alors, gare aux
rétorsions différées…
La
maternelle fait partie d’un cycle d’apprentissage qui demande à l’enfant une
grande maîtrise de lui-même et, à deux ou trois ans, l’effort est important,
d’autant que chaque inconscient a un rythme qui lui est propre. Ainsi,
indépendamment du fait qu’il ne faut pas que l’enfant ressente que la
maternelle est là pour débarrasser les parents, une autre prise
de conscience s’impose : l’école c’est beaucoup, mais c’est pas
tout...
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